La terre de mes gailloches
Pour oublier un peu le nombre impressionnant de messages, plus ou moins virulents, qui envahissent depuis quelques jours nos boîtes à lettre à propos d’un trait d’union, je vous invite à déguster un petit texte en patois. L’auteur est un Poitevin qui vit du côté de Melle, Raymond Servant.
Raymond fait partie de ces patoisants qui, trait d’union ou pas trait d’union, écrivent pour le plaisir, non pas dans la graphie normalisée des « Poitevins-saintongeais » mais dans le langage qu’ils aiment. Il est Vice-président de la Sefco.
C’est un très joli poème écrit en patois du Poitou, plein de finesse et d’humour. Du patois comme je l’aime. Et vous, qu’en pensez-vous ?
La terre de mes gailloches
La terre collaie à mes gailloches
On m’avait dit d’ bin la gratter
Et d’ la saquer au fond d’ ma poche
Sous mon mouchoir, peure la cacher.
Y m’ sé mis à frotter mes s’melles
Frotter, frotter et frott’ras-tu,
Y v’lais qu’e d’vinyisiont pu belles
Q’ daus escarpins à bout pointu.
Mais s’ell’ ont marché dans la fagne
Ou dans la terre roujh’ daus garets,
Minme les pu belles semelles de frâgne
Disont voure qu’ell’ avont teurpé.
Queume y savais pas trop s’ qu’y fére,
Y ai été veure le cordouner.
Chio gars m’a dit : « La bell’ affère,
Tes gailloches t’as qu’à les cirer ! »
Tombant tout queume mars en Carême
Y avait jhustement vers chez nous
Une grand’ pienne boîte de cirajhe-crème
Voure qu’on cirait semelles et cllous …
Y y’ai don traîné mes gailloches
Y les ai ciré, cir’ras-tu
En sonjhant au fond d’ ma caboche :
« Faut qu’o teurluse queume daus sous nus ».
Pis y m’ sé nallé su’ la route
Mes gailloches cirées dans les pés
Mais souvent y étais pris d’un doute
Y r’gardais les pés d’à couté !
Y ai vu daus socques de toutes pointures :
Grous bots, soulais ou escarpins,
Et thieuques cots minme daus pieds nature
Petagnant dans l’ pllat dau vouésin.
Y ai vu daus bots bin haïssablles
Su mes platte-bandes à teurpegner
Y ai vu daus fess’ insupportablles
Qu’o m’arait fait grand bin d’ botter !
Y ai vu otout daus sandalettes,
Daus bottes et daus soulais vernis
Qui s’perniont bin dans la carpette
Ou qui s’emmêlions dans l’ tapis !
Y ai vu daus pés à croch’te pattes
Qui peure dare vous fasiont buter ;
Y ai vu daus pés à carapatte
Qui fouiyont quant’ le vent virait.
Y ai vu chieuques cots daus grandes pointures
Marcher à couté d’ leu soulais ;
Et d’autres berdoirés d’une bavure
Qu’avançiont su’ daus us pas frais !
Aneut, quant y r’garde mes gailloches,
Final’ment y m’ dis qu’é m’ conv’nant :
Au diabll’ la terre dans ma poche
Mes deux pés sont si b’néses dedans !
Raymond Servant
3 commentaires »
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Mes gailloches à moué, ol est m’man qui les cirait. Pas les s’melles ni les caboches. Les caboches,o sarvait à faire des étincelles, sus le ciment dau préau, à l’école. Ol est p’pa qui les mettait, ac in pied de fer, que j’disions. Quellés caboches, o peuvait itou sarvir à mener dau potin dans l’éguyise, sus l’pavé, au caté, pour emm… l’tchiuré quandque i nous avait foutu ine sale note. Les bons citouéyens que j’étions! Asteure, o y en a pus. La race est pordue.
« Merci Raymond pour ce beau poème sur la ruralité d’antan,poème sans frontières,poème sans péage,poème d’un homme libre. Bravo et merci encore. Et merci aussi à Pierre Péronneau d’avoir porté à la connaissance du monde ce petit rubis dans son écrin. »
Grand marci à Raymond peur thiélés biâs rimayajhes.
Dau temps voure jh’élis drôle, jhuste amprès la ghère, et qu’o y’avait core combe de rastrictions, ma m’mé huchait bin des cots: « rabale don pas tes soques de minme, faura core aler chez l’bouif! ». Mé j’peuvions pas nous r’teni de fère daus beurtilles anvec les fars et les caboches de noutrés soques en les rabalant en corant, le pé d’couté, su les piares de la grand route bllanche. Et o rasistait pas long de temps, vu que sous les fars, le boué de nos paures galloches étit, à fine force de r’torner chez l’bouif, rendu coume dau carton…